Terminé le 31.01.21
Présenté dans laGalerie du Soir
Sarah Joveneau. Piel de lucha
« Très jeune, j’étais plutôt lancée dans la pratique de l’écriture » raconte Sarah Joveneau, auteur de la série Piel de Lucha. « Gamine, j’écrivais beaucoup. En rhéto, le prof de français nous a demandé de tenir une sorte de journal culturel. Dans ce cadre, je suis venue au Musée de la Photographie et j’ai découvert le travail de Roger Job sur les Turkana. Ça m’a bouleversée. J’avais déjà beaucoup voyagé avec mon papa, journaliste de terrain qui aime aller à la rencontre des gens mais la découverte du travail de Roger Job a été un vrai déclic. J’étais super touchée par sa démarche au long cours. J’ai donc rendu tout un texte à ce sujet à mon prof de français puis, au moment de décider vers quoi j’allais m’orienter, je suis allée aux portes ouvertes à Saint-Luc. Ça m’a plu et je me suis lancée. » A entendre Sarah Joveneau, tout coule plus ou moins de source dans son parcours. Pourtant, son travail n’a rien d’évident ni de tranquille. Depuis plusieurs années maintenant, comme photographe, vidéaste (elle s’est aussi formée en cinéma après la photographie) et, peut-être plus fondamen- talement, comme être humain, elle parcourt le monde, va à la rencontre des gens les plus divers et tente de rendre compte des combats des uns, des choix de vie des autres...
« Bouger ? C’est un mode de vie depuis toujours, s’amuse-t-elle. Déjà pendant mes études à Saint Luc, je me suis lancée dans un long reportage sur les routes avec des nomades qui vivent en camion et se déplacent un peu partout. La plupart du temps, je voyage en stop car je n’ai pas beaucoup de sous. » La discussion dont sont tirées ces déclarations est d’ailleurs réalisée un samedi matin tandis que la jeune photographe se rend en Occitanie pour une résidence d’écriture. Lorsqu’elle nous contacte, par téléphone, elle vient de débarquer au bord d’une route et se prépare à repartir en levant le pouce. « Aujourd’hui, je n’ai pas forcément de chez moi, explique-t-elle. Je suis souvent sur la route avec mon sac à dos. »
La route en question, elle la choisit en fonction de ses projets, de ses centres d’intérêt, des in- formations qu’elle découvre ça et là sur des mouvements qui attirent son attention. Et parfois, le stop ne suffit pas pour rejoindre ces destinations. Notamment lorsqu’il s’agit d’aller au Chili. « Je m’y suis rendue dans le cadre d’un tournage auquel je participais mais je ne me voyais pas faire un aller-retour et rester seulement cinq jours sur place. Quand j’ai appris qu’il y avait, dans ce pays, une importante mobilisation féminine, je me suis arrangée avec la production pour reporter mon billet de retour. J’ai quitté l’équipe à l’aéroport et j’ai commencé mon projet qui a duré un peu moins de deux mois sur place. »
Un projet qui va se passer bien différemment de ce que Sarah avait prévu. « Quelques jours avant mon départ pour le Chili, on a volé mon matériel numérique dans ma voiture. Or j’avais prévu de faire un documentaire filmé sur cette lutte des femmes chiliennes, en utilisant l’appareil numérique. J’ai donc dû me rabattre sur un matériel argentique et, bien sûr, laisser tomber la vidéo pour la photo. » Avec pour résultat une série d’images noir et blanc de format carré que la jeune femme n’avait encore jamais abordé. Et un travail sur la lutte très singulière de ces femmes chiliennes. « Je me renseigne toujours sur le pays dans lequel je vais. Je cherche des endroits où je vais pouvoir être accueillie en tant que voyageuse : mouvements citoyens, squats... Je m’intéressais à ces mouvements de femmes depuis un moment mais quand j’ai vu tout ce que cela impliquait, je me suis rendue compte que notre vision du féminisme est très européo-centrée alors qu’il existe, ailleurs, des visions très différentes. Au Chili, c’est avec le corps, le chant, la danse, que ces femmes manifestent. Parce qu’il ne s’agit pas seulement de se libérer du pouvoir des hommes aujourd’hui. Pour ces femmes que j’ai suivies, c’est une manière de se libérer de la colonisation du corps qui les a privées d’une multitude de choses. Avant l’arrivée des Européens, les femmes mais aussi les homosexuels et les travestis, considérés comme des êtres magiques, faisaient office de chaman et avaient un rôle essentiel dans la communauté. L’arrivée des Européens et de la religion chrétienne a bouleversé tout cela, créant une vision binaire de la société et donnant tout le pouvoir aux hommes. » Suivant une vingtaine de ces femmes qui veulent à la fois se défaire du pouvoir des hommes et ramener de la magie dans la société, Sarah Joveneau a photographié ces corps, ces peaux, entrant dans un dialogue de co-création avec chacune d’entre elles. Afin de faire entendre leur voix bien au-delà des frontières de leur pays.