20.10.23 - 28.01.24
dans la salle
Les missions photographiques sur Charleroi
Menées à Charleroi entre 2009 et 2015, à l’initiative du Musée de la Photographie, les cinq missions photographiques n’ont jamais pu occuper les cimaises du musée et dialoguer, croiser les regards.
Face aux premiers signes de changement du paysage urbain à la fin des années 2000, le Musée de la Photographie a émis le souhait de recueillir en une série de clichés le visage de ce Charleroi en pleine transformation, avant qu’on ne perde la mémoire de sa physionomie d’avant ces grands travaux. En ce sens, les cinq missions photographiques anticipent l’Histoire en fournissant des sources historiques importantes pour documenter la mutation d’une ville soumise à la déliquescence industrielle depuis des décennies.
La démarche n’était bien entendu pas nouvelle, loin s’en faut, puisque dès le milieu du 19e siècle, alors que la photographie ne comptait qu’une décennie d’existence, plusieurs pays ont initié des campagnes photographiques de grande ampleur pour garder la trace, la mémoire du passé.
Une première mission photographique a été confiée au photographe Bernard Plossu (France, né en 1945). Charleroi lui plaisait. Il y était venu déjà à diverses reprises à l’invitation du Musée, y retrouvant un peu des villes américaines et de leurs banlieues interminables, un peu des chantiers de La Ciotat près de Marseille et de sa population métissée. Plossu entreprit de photographier la ville dans cette urgence qui lui sied, comme s’il ne devait jamais s’arrêter, demandant de reprendre dix fois encore le chemin de ce périphérique tant décrié des habitants de Charleroi, qui est pourtant l’une des spécificités de la ville.
C’est après l’exposition Rough Beauty consacrée à Vidor, une ville mal-aimée du Texas que Dave Anderson (états-Unis, né en 1970) s’est vu proposé par le Musée de la Photographie de réaliser le deuxième reportage sur Charleroi. Dave Anderson s’est tourné vers ce qui est la richesse de Charleroi, ses habitants et la mosaïque qu’ils composent, mais aussi les lieux et les travaux témoignant de ces années de transition décisives pour la métropole sambrienne. Un reportage photographique qui dit toute sa tendresse et son espoir en une ville passionnante qui cherche un second souffle.
Pendant plusieurs semaines et en l’espace de deux voyages, ce fut ensuite le photographe suédois Jens Olof Lasthein (Suède, né en 1964) qui sillonna Charleroi et ses environs. Il a rencontré les habitants, vécu leur quotidien et capturé des instants de vie. De cette immersion dans la cité carolorégienne, il a livré un travail remarquable des scènes de la vie de tous les jours, des images fortes, teintées de mélancolie, de tristesse et de gravité, témoignant du quotidien des gens simples.
Pendant plusieurs semaines et en l’espace de quatre voyages, Claire Chevrier (France, née en 1963) a sillonné Charleroi et ses environs. Sur cette quatrième mission, Claire Chevrier a écrit ceci : « j’ai tout de suite voulu commencer par les abords de la ville, comprendre sa structure et ses limites, regarder les quartiers et observer les flux. Il était important de travailler le plus possible en extérieur par des journées ensoleillées, je ne voulais surtout pas rajouter une lecture noire par la grisaille mais au contraire que l’on se concentre sur l’agencement des modules constituant la ville. Dans un deuxième temps je suis passée de l’extérieur à l’intérieur mais avec la même démarche. Je souhaitais observer des lieux dédiés au travail, des entreprises dans des secteurs divers et pas entrer dans les appartements, dans l’intimité. Le choix des distances, des cadrages, des détails… est un questionnement de l’espace. Comment on tient un espace, comment on structure une surface déterminée (celle de l’espace et celle de la photo), des espaces en attente où pourraient se jouer différentes histoires. Des images génériques, des espaces ouverts c’est ce vers quoi tend mon travail. »
Dernière commande du cycle entamé en 2010, c’est au photographe belge Stephan Vanfleteren (Belgique, né en 1969) que le Musée de la Photographie a demandé de proposer sa vision de Charleroi.
Pour Vanfleteren, l’exercice ne fut pas entièrement neuf, pratiquant la ville depuis de nombreuses années : Charleroi était en effet présente au détour des pages de son célèbre Belgicum, par la photographie ou par les textes, reliant la ville à ces autres lieux qui composent l’itinéraire en noir et blanc de cet étrange pays, tour à tour sombre et joyeux, trivial et pudique, irritant et touchant. Charleroi n’échappe pas à cette impression, entre inquiétude et empathie. Ce pourrait être ailleurs et c’est pourtant ici, en cette ville qui n’en finit pas de renaître, que Vanfleteren a tenté d’embrasser du haut d’un terril autant que sous les néons d’un café où les solitudes s’escortent au bout de la nuit. Toutes ces photographies sont nées de longues errances, de patientes conversations, de regards échangés. Ni portrait-charge, ni plaidoyer, le Charleroi de Vanfleteren dit les blessures, la résistance et la solidarité d’une ville qui sait qu’elle a rendez-vous avec elle.