Publié le lundi 03 juin 2024
Œuvre de juin
Dans le dernier quart du XIXe siècle, dans un contexte où la photographie est encore perçue comme un document et dans lequel les professionnels voient d’un mauvais œil les facilités et possibilités offertes par les techniques nouvelles (dont notamment l’industrialisation par Kodak d’appareils photographiques à la portée de (presque) tous), un certain nombre de photographes ressentent la nécessité de se réinventer et de se rapprocher davantage de la peinture en proposant des photographies travaillées et retouchées. Ce souhait témoigne de la volonté de faire reconnaitre la photographie en tant qu’art et de s’opposer à l’aspect documentaire prônant la netteté. Partout en Europe fleurissent des cercles et clubs consacrés à la photographie où se rencontrent et échangent des amateurs éclairés – et bien souvent fortunés. Ils organisent des salons d’art photographique et font circuler leurs images à travers le monde. Nait alors une querelle entre deux groupes, les défenseurs du net (les tenants de la photographie considérée comme « pure » ou documentaire) et les partisans du flou, ceux qui jugent important de retravailler la plaque ou l’épreuve photographique. Les groupes s’affrontent à coup de manifestes.
L’historien de l’art Robert de la Sizeranne écrit en 1899 : « Quelque chose change ou va changer dans l’esthétique du noir et du blanc. Un mouvement nouveau entraine les photographes hors et à rebours des voies où ils avaient accoutumé de cheminer jusqu’ici. Ce mouvement est international. […] Entrez dans une des expositions du Photo-Club à Paris, ou du Linked Ring à Londres, du Camera Club à Vienne, ou de la Société belge de Photographie à Bruxelles, et vous en sortirez stupéfait qu’un procédé vieux de soixante ans et qu’on pourrait croire épuisé semble se renouveler jusqu’à une renaissance »[1].
C’est au mouvement pictorialiste qu’il fait référence. Robert Demachy, aux côtés de Constant Puyo, est, en France, la figure de proue et le maître à penser du mouvement. Nanti et homme de loisirs, Demachy est proche des artistes, il porte un vif intérêt à l’art, la littérature et la musique, et se passionne rapidement pour la photographie. Il installe chez lui un laboratoire dans lequel il réalise ses tirages et expérimente inlassablement de nouveaux procédés. En 1882, il est élu au sein de la Société Française de Photographie et sera un membre éminent du Photo-Club de Paris. Ses images rencontrent un vif succès auprès des adeptes du mouvement tant en France qu’à l’étranger et il est un des rares photographes, à l’époque, à avoir des expositions personnelles. En juillet 1904, le photographe, galeriste et éditeur américain Alfred Stieglitz montre deux de ses photographies au sein du septième numéro de sa revue Camera Work. Ce numéro est décrit par Stieglitz comme étant dédié à la gomme bichromatée et rassemblent des exemples représentatifs de ce procédé d’impression tant apprécié des pictorialistes. Il présente des photographies de Theodor et Oscar Hofmeister, d’Edward Steichen et de Robert Demachy. L’œuvre du mois, Behind the scene, est l’une des deux photographies de Demachy parues dans ce numéro. Ces ballerines évoquent inévitablement les œuvres d’Edgar Degas. En usant du procédé de la gomme bichromatée, Demachy se rapproche du rendu des pastels du peintre. Il consacre une série au thème des ballerines et il est indéniable qu’il s’est laissé influencer par cette thématique chère à Degas.
Au début de la Grande Guerre, Robert Demachy renonce définitivement à la photographie, le Photo-Club de Paris cesse l’organisation de ses salons annuels et le mouvement finit par s’essouffler. Avant sa mort, Demachy détruit la plupart de ses croquis et donne les photographies qu’il lui reste à la Société Française de Photographie et à la Royal Photographic Society. En dehors de cette riche production photographique, Demachy laisse derrière lui de nombreux écrits : des articles, des livres mais également une abondante correspondance professionnelle.
[1] Robert de la Sizeranne, La photographie est-elle un art ?, Paris, Hachette & Cie, 1899, p. 5 et 7.