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Publié le mardi 23 juillet 2024

Œuvre d'août

Au Chili, en septembre 1973, une semaine après le coup d’état militaire d’Augusto Ramon Pinochet Ugarte contre le régime démocratique de Salvadore Allende, des photojournalistes du monde entier débarquent à Santiago. Dans ce théâtre politique et armé qui raconte le changement de régime, la presse étrangère s’efforce de comprendre la réalité au-delà de l’image « lissée » offerte par le nouveau pouvoir.

Pour comprendre la photographie de David Burnett, il faut revenir aux années qui ont précédé la chute du gouvernement chilien. Le 3 novembre 1970, Salvador Allende devient président du Chili à l’issue d’une élection démocratique. Il porte les espoirs de la gauche politique, réunissant sous sa bannière les socialistes et les communistes. Dans une volonté de changement de l’économie de son pays, il nationalise notamment les entreprises et réforme le système agraire. Cependant, la situation économique mondiale, les marchés d’exportation et d’importation qui se complexifient et la chute du cours du cuivre (l’une des matières premières les plus abondantes du pays) entrainent de grandes difficultés financières et un mécontentement social grandissant. Utilisant ce terreau de contestation, le général en chef des armées, Augusto Pinochet, monte un coup d’état militaire qui se soldera, le 11 septembre 1973, par la chute du gouvernement et la mort, probablement par suicide, du président Allende. Pinochet s’empare du pouvoir et impose rapidement un régime militaire et répressif. Toutes personnes ayant des liens avec la pensée socialiste ou communiste, les partisans d’Allende et, plus généralement, les opposants de Pinochet sont arrêtés puis enfermés au National Stadium de Santiago.

Burnett, alors jeune photojournaliste de 27 ans, récemment revenu du Vietnam où il travaillait pour le magazine Life, arrive dans ce pays bouleversé. Dans un témoignage qu’il livrera quelques années plus tard, il dira notamment sa prudence face aux militaires présents en nombre dans les rues : « Dès que je faisais une bonne image, je mettais la pellicule dans la poche et j’allais le plus vite possible à l’hôtel pour cacher le film dans ma chambre ». Le 22 septembre 1973, le régime organise une visite du National Stadium où sont gardés les prisonniers politiques, les militaires veulent montrer les « bonnes conditions » dans lesquelles ils sont gardés. Burnett, qui avait eu l’occasion de venir la veille et qui avait déjà subi la violence des soldats, n’est pas dupe (tout comme, sans doute, la majorité des photojournalistes présents). Lorsqu’il est sur place, un nouveau groupe de prisonniers arrive. Il brandit son appareil et capte le regard de Daniel Cespedes (identifié 30 ans plus tard), l’un des étudiants arrêtés en raison de ses convictions politiques. La netteté de son visage et de son regard presqu’ébahi, derrière le mur de soldats en armes, raconte beaucoup de la chute brutale du « rêve » socialiste chilien. Cette photographie, et plus largement le reportage que David Burnett ramènera du Chili, figure parmi les premiers témoignages sur la situation du pays. Au final, ce sont plus de 3200 morts et « disparus », environ 38 000 torturés et des centaines de milliers d’exilés qui seront les victimes du régime oppressif et autoritaire de Pinochet.

David Burnett, Daniel Cespedes, étudiant chilien, arrêté et conduit au National Stadium, Santiago, 22 septembre 1973. Épreuve à la gélatine argentique, tirage d’époque, 27 x 39,8 cm. Coll. Musée de la Photographie, MPC 2010/26 © David Burnett