L'œuvre du mois de décembre
Cette photographie de bateau, manœuvrant à proximité d’un quai, est prise à un instant charnière de la vie et de la pratique artistique de son auteur, Alfred Stieglitz. Cet Américain, né de deux parents d’origine allemande, grandit dans le New Jersey et à New York, où sa famille s’installe dans un immeuble situé à côté du futur Central Park. Autour de ses 16 ans, son père décide de retourner en Europe.
Cette photographie de bateau, manœuvrant à proximité d’un quai, est prise à un instant charnière de la vie et de la pratique artistique de son auteur, Alfred Stieglitz. Cet Américain, né de deux parents d’origine allemande, grandit dans le New Jersey et à New York, où sa famille s’installe dans un immeuble situé à côté du futur Central Park. Autour de ses 16 ans, son père décide de retourner en Europe. Sur le Vieux Continent, Alfred suit des cours de photochimie avec Herman Wilhelm Vogel à la Technische Hochschule de Berlin de 1882 à 1886. Il part ensuite explorer divers pays européens dont il ramènera ses premières photographies. En cette fin du XIXe siècle, il alterne donc sa vie entre l’Europe et les États-Unis et, en 1894, il est promu membre du « The Linked Ring », un groupe de photographes anglais cherchant à promouvoir la photographie en tant qu’art véritable. Prenant modèle sur ce groupe, Alfred Stieglitz fonde en 1902 « Photo-Secession » à New York dont la revue Camera Work sera l’organe de diffusion. « Photo-Secession » réunit de nombreux photographes dont Gertrude Käsebier, Edward Steichen, Alvin Langdon Coburn et Frances Benjamin Johnston, pour n’en citer que quelques-uns. Le groupe s’attèle, à l’instar de « The Linked Ring », à faire de la photographie un art reconnu par tous. Pour ce faire, et suivant la mouvance du temps, ses photographes s’inscrivent dans le courant du pictorialisme. Ils usent de divers procédés pour modifier et améliorer leurs prises de vues, en s’inspirant du modèle pictural. Ils délaissent les sujets trop « documentaires » pour se concentrer sur des scènes pittoresques ou des portraits posés, magnifiés par l’emploi de divers procédés photographiques pigmentaires ou photomécaniques. La revue Camera Work publie, sous forme de précieuses héliogravures réalisées d’après les négatifs originaux, les productions de « Photo-Secession », les rendant visibles à un public plus large que ne le permettaient les réunions en cercles restreints de photographes ou les expositions au sein de la galerie newyorkaise Galerie 291.
En 1910, date de la prise de la photographie de l’œuvre du mois, le mouvement pictorialiste montre les premiers signes de son essoufflement. Ce qui en avait fait un courant révolutionnaire de la photographie, devient, paradoxalement, élément de son déclin. Les effets picturaux, les scènes pittoresques, les portraits symbolistes, perdent de leur attrait. La tendance artistique montre les prémices de l’avant-garde à venir. La photographie de l’œuvre du mois rassemble ces éléments divergents. Le traitement technique de l’image, une photogravure aux tonalités noires et blanches profondes et aux contours flous, est pleinement pictorialiste. Son sujet, ce bateau rempli de passagers, est sans doute davantage photographié par Stieglitz pour les effets atmosphériques et les reflets de l’eau troublés par le navire. Néanmoins, ce « ferry boat » quotidien trahit tout de même le renouveau de la société. L’angle de prise de vue, quant à lui, tient davantage de la construction moderne avec un cadrage démarrant du coin inférieur droit et la succession des éléments – balustrade, estacade, bateau – soulignant le mouvement photographié. Alfred Stieglitz aura durablement marqué l’histoire de la photographie par son regard résolument curieux, son esprit de modernité et sa capacité à fédérer ses pairs.
Alfred Stieglitz (États-Unis, 1864-1946), The Ferry Boat (extrait du Camera Work nr. 36, Octobre 1911, pl. 3.), New York, Manhattan, 1910. Photogravure, impression d’époque, 20,9 x 16,3 cm. Coll. Musée de la Photographie MPC 2024/19
