Publié le lundi 02 janvier 2023
Œuvre de janvier
Réaliser des photographies de scène est un art consommé. Il faut réussir à capter l’énergie de l’instant, à rendre l’expression des artistes, à témoigner de l’ambiance, tout en effaçant la présence de l’appareil photographique. Avez-vous déjà vu un photographe de plateau en action ? Généralement vite oublié des spectateurs, le ou la photographe se fond dans l’ambiance du théâtre ou de la salle. De la même manière, s’il lui arrive de photographier les coulisses, il devra faire disparaitre sa présence pour ne pas déranger la répétition.
Jacques Picard semble répondre parfaitement à ce profil. L’image qu’il réalise de cette répétition est prise au plus proche des artistes. Aucun cependant ne parait incommodé par sa présence, ils restent totalement concentrés sur leur travail d’interprétation.
Sous l’œil du metteur en scène, adossé au miroir, les deux artistes se meuvent. L’une est actrice et l’autre danseuse. L’homme qui les scrute n’est autre que Maurice Béjart. Fondateur du Ballet du XXe siècle, il est considéré comme l’un des plus talentueux chorégraphes de son époque. L’actrice, c’est Maria Casarès, elle aussi est une figure incontournable du théâtre français des années 1960. Beaucoup la considèrent comme la plus grande de sa génération. La danseuse, Tania Bari, est également renommée. Le trio, combinaison phénoménale de talents, est capté ici en toute simplicité, durant une répétition, là où l’art prend naissance. Ils préparent le spectacle À la recherche de Don Juan qui sera joué au Théâtre de La Monnaie à Bruxelles en décembre 1962.
Dans cette image, la concentration est palpable. L’attitude de Béjart, faussement nonchalante, l’œil attentif, raconte beaucoup du personnage. Il est indéniablement dans une position d’observateur en tension, enregistrant ce qui se passe devant lui et prêt à intervenir pour diriger. Maria Casarès tient ses feuilles en main. Ce texte, présent en répétitions, laisse supposer que ces dernières débutent. Peut-être s’agit-il des premières répétitions où le jeu, la danse et la musique commencent à s’agencer. Le reflet de l’actrice dans le miroir montre aussi une intense concentration. Le menton haut, l’allure fière, le regard se fixant dans la glace, Maria Casarès pose sa propre image. Un dialogue diffus et sans parole semble se nouer entre le chorégraphe et son actrice. Ces deux-là continueront longtemps à travailler ensemble, chacun sublimant le talent de l’autre.
Jacques Picard photographie ici les débuts de cette collaboration dans l’environnement simple d’une salle de danse, identifiable par les miroirs, les barres et le parquet au sol. Ces moments de création infinie, petite part de l’histoire de la danse et du théâtre du siècle dernier, sont documentés par cet acteur de l’ombre qu’est le photographe de scène. Remplissant ici parfaitement son rôle, Jacques Picard s’efface totalement. À tel point qu’en regardant cette image, au plus près des artistes, il nous prend d’oublier qu’une personne se tenait là, comme si cette vue était née par elle-même sans autre déclencheur que l’opportunité de l’instant.