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Publié le mardi 02 avril 2024

Œuvre d'avril

Souvent objet d’admiration, les devantures n’ont eu de cesse de voir se poser sur elles les regards ébahis des enfants, ceux parfois coquins des adolescents ou encore ceux contemplatifs ou envieux des adultes. 
 
Ces devantures, aujourd’hui si familières, sont apparues dès les premières décennies du XXe siècle. Durant cette période, les rues commerçantes voient arriver un changement important. Suite à la réglementation plus stricte de l’occupation des trottoirs, les échoppes ne s’y étendent plus, la marchandise est à présent protégée et mise en valeur dans d’élégantes vitrines – l’industrie du verre étant en plein essor. La marchandise devient peu à peu un élément de décoration et la vitrine un espace d’exposition. Comme le souligne l’historien de la photographie Clément Chéroux : « on passe de l’étal à l’écrin ».
 
Dès les premières utilisations des daguerréotypes, les vues urbaines offrent déjà à voir les enseignes anciennes. Dans les années 1860, sous la commande de Charles Marville, elles sont nombreuses dans les images de Paris en chantier. Mais la photographie de devanture va se répandre davantage à partir de 1900. Eugène Atget figure parmi les photographes qui, à l’époque, s’y intéresseront. Si l’approche d’Atget est nourrie d’une volonté d’archiver et de documenter face à la disparition, celle des surréalistes, mais également des avant-gardes, sera davantage tournée vers le potentiel artistique des vitrines – et principalement ses reflets. Berenice Abbott, Henri Cartier-Bresson, Germaine Krull ou encore Dora Maar y consacreront des séries. Il en sera de même dans les années 1940 pour Lisette Model et Louis Faurer. 

Témoins d’un essor, les photographies des devantures se répandent rapidement. Elles permettent de diffuser les nouveaux préceptes architecturaux, ornementaux et commerciaux. Naissent, à la fin des années 1920, des revues spécialisées proposant des images des devantures modernes les mieux achalandées. Ces photographies ont aussi un grand intérêt documentaire, témoignant des enseignes de l’époque et de leur étalage qui, bien souvent, avaient un caractère éphémère. 

L’œuvre du mois, réalisée à la rue de la Montagne à Charleroi, a probablement été prise par un photographe itinérant. Ils étaient nombreux, studios et opérateurs, à immortaliser la rue moderne. Il était commun que les propriétaires des magasins fassent appel à un photographe pour promouvoir la qualité de leur commerce et la mise en avant de leur étalage. Ces propriétaires prennent alors plaisir à poser devant leur devanture en signe de prospérité. Patron, employé(s) et parfois la famille prennent fièrement la pose. Ces images, souvent tirées sur du papier carte et donc plus abordables, sont envoyées ou distribuées aux proches, ou mises en valeur au-dessus du comptoir pour témoigner de la réussite sociale et économique ou encore de la pérennité du magasin. 

À notre époque où les petits commerces peinent à résister aux reconfigurations urbaines et aux changements de consommation davantage tournés vers les achats en ligne, il peut être intéressant de prendre le temps d’observer ces différentes devantures (quelquefois témoin de l’architecture de l’époque) et d’apprécier la recherche esthétique dans l’aménagement par le commerçant de sa vitrine, cet espace d’exposition. 

Anonyme, Victor Gevaert, sa fille Odette, Charleroi, ca 1920. Épreuve à la gélatine argentique, tirage d’époque, 13,9 x 8,8 cm. Coll. Musée de la Photographie MPC 98/1684