Publié le vendredi 16 juin 2023
Œuvre de juillet
Emblématiques de l’impact du changement climatique sur notre environnement, les glaciers hantent l’imaginaire humain depuis des siècles. Ils sont les traces du dernier âge glaciaire et, selon les prévisions les plus pessimistes, pourraient avoir disparu de nos paysages d’ici 2100. Sans le savoir, les frères Bisson et leurs photographies de montagne nous offrent un point de comparaison alarmant avec l’emplacement actuel des géants de glace.
Louis Auguste (1814-1876) et Auguste Rosalie (1826-1900) Bisson n’ont pas commencé leur carrière de photographe par ces vues des Alpes. L’aîné, tout d’abord, installe avec leur père, lui-même artiste en tant que peintre héraldiste, un premier atelier de daguerréotypes. Architecte et chimiste de formation, ses connaissances scientifiques lui valent la reconnaissance de ses pairs par les améliorations notables qu’il apporte au procédé de Daguerre (temps de pose réduit, portrait dans l’ombre…). Le cadet pratique également la photographie dans divers ateliers et se met à son propre compte. Les deux frères s’associent en 1852, fondent « Bisson frères » et installent l’entreprise à l’hôtel de Sourdéac à Paris. Une forte volonté d’expérimentation – à défaut d’avoir le sens du commerce, ce qui leur vaudra ruine en 1863 – les fait ouvrir de nouvelles voies au médium et leur permet d’être associés aujourd’hui au Panthéon des pionniers de la photographie française. Ils se spécialisent en photographie de grand format d’architecture avec des négatifs au collodion ce qui, à l’époque, est inédit et nécessite une maîtrise technique remarquable. Ces vues les mènent vers d’autres sommets inexplorés et au plus notable de leurs exploits : la réalisation des premières photographies au monde depuis le sommet de l’Europe, le mont Blanc. En 1854, la rencontre avec l’industriel Daniel Dollfus-Ausset (1797-1870), passionné des glaciers, est déterminante. Ce dernier les mandate, connaissant leur notoriété, pour réaliser des photographies des glaciers des Alpes. Auguste Rosalie se lance dans l’aventure. Dès 1854, la première photographie de montagne produite est annonciatrice des nombreuses à venir. Il perfectionne petit à petit sa technique pour obtenir des contrastes réels (la neige n’aide pas à l’exercice), pour avoir le meilleur mélange chimique dans de dures conditions climatiques (le froid, la pression moindre en altitude…) et réfléchit au transport du matériel (pénible, lui aussi, quand on connait le poids de l’ensemble nécessaire au développement photographique). Rien cependant n’arrête le photographe qui franchit l’étape ultime en réussissant l’ascension du mont Blanc le 26 juillet 1861 avec le guide Auguste Balmat, descendant du premier homme à avoir atteint le sommet, et une solide équipe de porteurs. Arrivé en haut, Auguste Rosalie Bisson parvient à réaliser quatre prises de vue et entre un peu plus dans l’histoire.
La photographie du glacier du Rhône, situé dans le nord du canton du Valais en Suisse, appartient à ces images réalisées avec et pour Daniel Dollfus-Ausset. Ce dernier considère surtout les opportunités scientifiques de telles vues : la géologie, la géodésie, l’orologie sont au cœur de ses préoccupations. S’il est clair qu’il oriente l’objectif du photographe vers le glacier, cela n’empêche pas ce dernier de construire son image. Il choisit un angle de vue créant une composition dynamique où le glacier s’écoule sans fin et où la montagne du premier plan structure l’image. Il faut également une chimie parfaite pour obtenir de tels contrastes dans les crevasses du paysage et les reliefs montagneux. Le temps a fait son œuvre et l’image à l’albumine a jauni, il n’empêche que l’évidente qualité de prise de vue continue de produire un effet saisissant et à transcrire la force du paysage. À cette impression s’ajoute notre actualité climatique qui questionne notre incidence sur le monde naturel et particulièrement sur ces masses glacées qui semblaient pourtant immuables.